Entretien avec une tondeuse |
||
Chaque année nous voyons le (ou la) tondeur(se) passer. C'est souvent une période de stress car il faut s'occuper des animaux avant et après la tonte, stocker la fibre, et même parfois il faut nourrir les amis qui viennent assister et, bien sûr le tondeur. Ce n'est pas souvent que nous avons le temps de discuter calmement avec notre tondeur pour savoir comment et pourquoi il fait ce métier. Je connais Clara Vaerman depuis qu'elle a commencé son élevage d'alpagas et de lamas, et j'ai suivi avec intérêt ses débuts comme tondeuse, hésitante, lente et anxieuse, jusqu'à aujourd'hui où elle manie ses machines avec maîtrise et calme. Avec l'arrivée du printemps, j'ai pensé que ce serait intéressant de parler avec Clara, pour qu'elle partage avec nous ses impressions de ce métier peu commun. Gillian Howard-Evieux : Clara, tu es éleveuse, avec ton mari, Bruno, d'alpagas et lamas depuis un bon moment, et puis il y a 3 ans tu as ajouté une nouvelle corde à ton arc en devenant tondeuse de camélidés. Comment est-ce arrivé ? Clara Vaerman : J'ai des alpagas depuis 10 ans et des moutons depuis plus longtemps encore. Comme je ne trouvais pas de tondeur pour mes alpagas et que j'attendais le tondeur de moutons depuis déjà l'année précédente, j'ai décidé de le faire moi-même. Pour commencer, j'ai fait un stage de tonte chez Catherine et Alain Bochaton . Puis, il y a 4 ans un éleveur m'a demandé si je pouvais venir tondre ses animaux car lui non plus ne trouvait personne pour le faire et il n'était pas équipé (tondeuse, peigne pour alpaga, meuleuse pour les dents...). J'y suis allé, puis en discutant avec d'autres éleveurs je me suis rendu compte qu'il y avait de la demande . En 2010 j'ai donc décidé de me perfectionner et j'ai fait un stage de tonte en Angleterre, à Langaton auprès de Ian Waldron (l'éleveur) et de Collin Otterley (tondeur anglais depuis bien des années). En 2011, j'ai refait un deuxième stage en |
Angleterre, me permettant d'améliorer la vitesse et les positions corporelles pendant la tonte. C'est comme cela qu'en 2011 j'ai montée ma petite entreprise. G.H-E. : Est-ce qu'il faut un équipment spécial ? C.V. : Pour tondre j'utilise une tondeuse à mouton avec des peignes et des contres peignes pour alpagas, des ciseaux spéciaux pour des ocassions spécifiques quand il faut tondre à la main, une pince pour les ongles, une petite meuleuse pour les dents, une scie fil pour couper les crocs des mâles. Il me faut aussi des tapis en caoutchouc sur lesquels je couche les animaux et des entraves pour les attachés. J'ai dû aussi acheter une grosse meuleuse pour affuter les peignes. G.H-E. : Tu tonds des alpagas et des lamas. Est-ce que tu utilises la même technique pour chaque espèce ? C.V. : Pour les alpagas, je les tonds toujours couchés et entravés pour des raisons de sécurité et de confort, aussi bien pour moi que pour eux. J'ai comme exemple un alpaga qui avait été tondu l'année précédente par un tondeur de moutons (les propriétaires n'ayant trouvé personne d'autre), qui savait mieux que tout le monde comment faire, et qui a assis cette pauvre femelle sur les fesses comme un mouton et a commencé à la tondre. Ce qui devait arriver, arriva : l'alpaga a bougé, déstabilisant le tondeur qui en voulant se rattraper lui a planté la tondeuse dans le flanc (viscères à l'air) ! Et bien évidemment l'année suivante quand on l'a amené sur le tapis de tonte, elle a fait des bonds dans tous les sens. Nous étions 5 pour la coucher, elle a blessé au genou une des personnes qui m'aidait et m'a ouvert le menton. Je l'ai tondu avec beaucoup de calme et de douceur et l'année d'après je pouvais la coucher toute seule sur le tapis; elle a arrêté d'associer la tonte a un moment de torture. Je ne tonds pas les alpagas debout parce que les alpagas sont des animaux assez nerveux. |
Cela serai trop dangereux et il y aurait trop de risques de blessures et de coupures. Pour les lamas, en général je les tonds debout mais parfois il faut les coucher ou même les tranquilliser (comme dans un zoo où je tonds des animaux qui ne sont jamais manipulés et sans cela ils seraient trop dangereux). Il m'arrive aussi de tondre avec l'aide des pompiers qui immobilisent les lamas (animaux non manipulés), ce qui me permets de tondre sans risque et aux pompiers de s'entrainer aux joies de la récupération des "nouveaux animaux de compagnie". G.H-E. : Tu es plutôt petite, cela n'est-il pas un problème avec ce travail si physique? C.V. : Il est vrai que je ne suis pas très grande mais cela ne pose pas de problème car j'ai adapté mes techniques en fonction de ma taille. De plus, c'est incroyable ce que l'on peux obtenir avec du calme et de la sérénité. Et puis j'ai toujours (ou presque) l'aide des propriétaires de ces chers petits camélidés. G.H-E. : Combien de temps faut-il pour tondre un animal? C.V. : Je mets environ 15 min pour tondre un alpaga et 20 min pour un lama; cela quand tout se passe dans les meilleurs conditions ... à cela il faut ajouter le temps d'installation du matériel. Mais lorsque les animaux ne sont pas rentrés à l'abri de l'humidité, qu'ils sont trop sale ou qu'il faille courir après eux dans les champs pour les attraper, cela peut prendre beaucoup plus de temps ! G.H-E. : Comment donc ...tes clients ne préparent pas leurs animaux avant que tu arrives ?! C.V. : Hélas non, pas toujours ... et je perds parfois un temps fou à ranger l'espace dans lequel je dois tondre, ou il m'arrive aussi de courir pendant une heure Fin de la tonte : la toison est étalée sur le sol |
après les animaux car leurs propriétaires n'ont pas de corrals adaptés et évidement ceci est source de grands stress pour tout le monde, a commencer par les animaux. G.H-E. : Autre question, est-ce que tu limites tes déplacements à certaines régions? C.V. : Je sillonne toute la France de la frontière Belge à Pau, en passant par Barcelonnette. Je |
commence, à partir de février à organiser les tournées pour pouvoir regrouper les propriétaires et éleveurs de petits camélidés d'une même région afin de réduire les frais de déplacement pour chacun de mes clients. Je suis sur la route à partir du début mai. G.H-E. : La tonte est faite au printemps, qui est pour beaucoup d'éleveurs le moment des naissances; quelle est ta réaction devant les femelles pleines? On tond ou on ne tond pas? Est-ce que la technique reste la même? C.V. : En règle générale, je tonds aussi les femelles pleines car elles souffrent plus de la chaleur quand elles ne sont pas tondues que du stress de la tonte. Mais je fais le plus rapidement possible et quand elles sont couchées et entravées je ne leurs fait jamais faire un tour complet sur elles mêmes pour ne pas faire de torsion de la matrice. G.H-E. : Quels sont les démarches de tes clients par rapport la fibre de leurs animaux? C.V. : En fait, je trouve que seuls les éleveurs s’intéressent vraiment à la qualité de la laine et |
environ 10% des particuliers la font transformer. Quand aux autres, ils sont surtout fans des animaux mais trouvent toute la filière de transformation bien compliquée. Moi, j'invite mes clients à contacter Alpalaine et, depuis peu, Véronique et Bertrand à la nouvelle Filature de la Vallée des Saules. Certains font appel à des fileuses à la main qui se trouvent dans leur région. G.H-E. : Et alors, puisque tu sillonnes la France pendant tout le printemps et l'été, comment gères-tu ton propre élevage et tes naissances? C.V. : J'ai un élevage de 35 alpagas et 3 lamas dont mon mari s'en occupe (en plus de son travail de sculpteur) lorsque je suis en déplacement. Il gère la nourriture, les soins et aussi les naissances avec beaucoup d’efficacité. Et dès que je le peux je repasse par la maison où je retrouve ma fille, mon mari et tous mes animaux - chien, chat, poules, canards, moutons et bien sûr mes adorables petits alpagas suris. Gillian Howard-Evieux Source : "Magazine AFLA" édition N°12 Mars 2013 |